samedi 18 avril 2015

Le vote obligatoire : l'abolition d'un droit.

Depuis des années, il ne se passe plus une seule élection sans que l'on ne fustige la constance d'un taux d'abstention pour le moins élevé en France. En moyenne, c'est près d'un électeur sur deux qui ne se déplace pas aux urnes. Ce faisant, c'est la valeur même d'une élection qui est en jeu, la légitimité même de ceux qui sont élus, avec moins de la majorité du corps électoral.
C'est ainsi que l'Assemblée Nationale est constituée à 98 % d'élus de deux blocs (PS - UMP ) qui ne représentent que 40 % des électeurs...
L'abstention, premier parti de France ! La phrase est régulièrement prononcée, mais pour s'en convaincre davantage, il faudrait que les diagrammes sur lesquels apparaissent les résultats les laissent apparaître en calculant le score de chacun non pas par rapport aux votants, mais par rapport aux inscrits... Chacun y gagnerait en mesure et en humilité...
Dès lors, il est bien gentil de fustiger cette abstention perçue comme une faute citoyenne, comme une ennemie de la Démocratie, mais pour initier son recul, encore faudrait-il pouvoir, objectivement, la comprendre, en saisir les causes. Car l'abstention n'est pas une cause, c'est une conséquence, ce n'est pas une maladie, c'est un symptôme.
Ainsi, la dernière idée sortie du chapeau consistant à rendre le vote obligatoire, au delà de sembler déjà brutale, de prime abord, ne tient pas compte des raisons constitutives du phénomène abstentionniste.
Souvent, l'erreur de diagnostic conduit à l'erreur de traitement. Au lieu de comprendre l'abstention, on veut l'éradiquer, la sanctionner, bêtement, serais-je tenté d'écrire...

L'électeur est donc désigné coupable, puisqu'il est celui qui s'abstient, c'est donc sur lui que doit reposer la charge de la faute, et dès lors, d'assumer la sanction, au travers du vote obligatoire... Évidemment, il est tellement plus confortable pour l'esprit humain de fustiger l'électeur de base afin de pouvoir se soustraire au délicat exercice de la remise en question... Cela s'appelle la facilité, et l'on pourrait bien volontiers comparer la démarche à celle qui consistait, à une époque pas si lointaine, à couper un membre infecté, en premier recours, au lieu d'essayer de traiter l'infection.

Le buzz était par avance garanti par cette idée, qui détourne des problèmes réels et qui s'impose par elle-même comme une mesure liberticide.
Évidemment, le concept, s'il a ses détracteurs, trouve néanmoins ses soutiens, et parmi eux, un certain nombre de conservateurs qui s'échinent à taper sur ceux qui ne mesureraient pas leur chance de pouvoir exprimer un suffrage parce qu'ils s'abstiennent, ces gens qui seraient les héritiers indignes de générations de sacrifiés sur l'autel du droit et qui ont acquis, pour nous, au prix de leur vie, la possibilité de pouvoir choisir. De là, à qualifier les abstentionnistes de citoyens de seconde zone, il n'y a qu'un pas qu'il n'est pas osé d'être franchi, car politiquement incorrect. N'est-ce pas cela le fond de la résolution, que d'appuyer sur le manquement au devoir citoyen en lui opposant la contrainte du vote obligatoire, qui s'accompagne de facto de la sanction pour celui qui ne s'y soumettrait pas ?

C'est oublier un peu vite que derrière "le devoir citoyen", il y a une réalité historique et sémantique mal appréciée : la possibilité de voter est un droit, dont chacun peut ou non user. L'abstention est donc constitutive du droit, a fortiori avec la non reconnaissance du vote blanc. Le droit est une liberté offerte, et imposer un caractère obligatoire à l'action de voter, c'est lui retirer implacablement ce qui en fait un droit.

S'attaquer aux vrais problèmes.

L'abstention est un phénomène qui a toujours existé, mais qui s'est tellement amplifié ces dernières années qu'elle marque aujourd'hui un point de rupture entre les électeurs et la classe politique. Il ne faut pas seulement chercher l'explication dans un hypothétique sursaut de désintérêt ou de désengagement politique. Les citoyens français ont maintes fois prouvé qu'ils avaient une conscience politique leur permettant de se mobiliser. C'est dès lors les prendre de bien haut que de vouloir chercher à les contraindre.
Si désamour il y a, il n'est pas lié à un manque d'intérêt ou de conscience, mais plus surement à un problème de confiance en une classe qui au delà de paraître coupée d'un certain nombre de réalités du quotidien, déçoit par la multiplication d'affaires sur-médiatisées qui laissent à penser que tous les élus seraient des pourris, alors que ceux-ci ne constituent pas la majorité du genre ; une classe qui semble nantie, incapable de sortir le pays du marasme dans lequel il est.

L'électeur, pour être mobilisé, a besoin de foi, de confiance et d'espoirs, pour nourrir ses convictions. Or la classe politique, dans son ensemble suscite beaucoup de défiance. Et c'est celle-ci qui doit se remettre en cause pour lutter contre l'abstention, avant de songer à traduire les électeurs pour manquement à son "devoir citoyen"... Car que penser de l'exemple donné par une Assemblée qui ne mobilise que 35 députés sur les 577 qu'elle compte lorsqu'il s'agit de voter la Loi Santé, et 30 députés pour le vote de la Loi sur le Renseignement ?
Autant d'exemples qui écornent l'image de ceux qui sont censés nous représenter.

La représentation est également une problématique liée à la question abstentionniste, puisque le mode de scrutin qui prévaut dans notre pays est ce fumeux scrutin uninominal à deux tours qui empêche une juste représentation de l'ensemble de nos mouvements politiques, au profit de l'émergence de deux blocs monolithiques qui dominent le paysage politique sans être fondamentalement majoritaire. Il est ainsi aisé de comprendre que nombre de citoyens ne se retrouvent pas ni dans l'un, ni dans l'autre bloc.
Ce défaut de représentativité se retrouve également dans la non reconnaissance du si essentiel vote blanc, qui est un formidable indicateur de tendance... Le vote blanc doit être enfin considéré comme un suffrage exprimé, qui traduira dès lors le poids réel, dans l'opinion, de ceux qui remportent une élection.

Aussi, l'on peut aisément voir qu'avant d'user de solutions aussi radicales que celle envisagée sur la question, consistant à traduire l'électeur comme s'il était coupable, il y a sans aucun doute d'autres chemins à envisager plus surement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire