dimanche 14 octobre 2012

Une barrière en guise de trait d'union ?

L'expression est inspirée de Pierre Reverdy, et elle s'applique à merveille à la problématique du Centrisme en France.
A l'heure où chacun y est allé de ses journées ou universités d'été, les centristes se sont récemment mis sous le feux des projecteurs médiatiques ; Jean Louis Borloo, après avoir rallié à la cause du Centre un certains nombre de parlementaires afin de constituer un Groupe à l'Assemblée Nationale, y est allé, fort d'un premier tour de force loin d'être gagné d'avance, de la création d'un nouveau parti, dédié à la réunion des centres au sein d'une même chapelle : l'UDI (Union des Démocrates et Indépendants) afin de lancer la construction d'un pôle centriste en capacité de devenir une force politique majeure capable de gouverner.
Evidemment, comme souvent chez les centristes, il n'en fallait pas davantage pour réveiller les vieilles querelles et rivalités, les vieilles histoires de feu-l'UDF que beaucoup dans leurs propos semblent méconnaître.
Et pourtant, pour exister à nouveau, pour exprimer sa force, incontestable, le Centre a besoin, plus que jamais, de s'unir.
L'union fait la force ! Nul ne saurait pouvoir dire le contraire, et la question de l'union du Centre ne se pose pas tant comme un simple concept de réunification de plusieurs courants au sein d'une même maison, mais pose davantage les fondations d'un renouveau de notre paysage et de nos valeurs politiques. Cette question de l'union centriste, pour prétentieuse que puisse être cette affirmation, est au coeur du devenir même de notre pays. Poser cette question, c'est déjà savoir apprécier et analyser un certain nombre de considérations qui entrent en ligne de compte de la problématique. Il s'agit en effet de mettre sur la table des notions essentielles, tout aussi sensibles, que polémiques, qui touchent à l'histoire, à la philosophie politique, à la culture, aux idéologies, aux évolutions socio-économiques, à nos institutions, clef de voûte de notre fonctionnement démocratique. Le Centre relève ainsi d'une synthèse de l'ensemble des points sus-évoqués, est une force d'équilibre, c'est une certaine idée de la France...

"Etre de Droite, Etre de Gauche".

La grande faute originelle de la constitution de la Vème République. Les débats nourrissent quotidiennement la vie de chacun autour de questions sur lesquelles les avis des uns et des autres peuvent diverger, en pro-thèse, ou anti-thèse. La politique, a fortiori, n'échappe pas traditionnellement à cette réalité : une opposition de fond entre deux ou plusieurs camps sur une question déterminée. Par delà, les points d'accord ou désaccord, les camps se forment autour de la réunion de personnes qui obéissent à un certain nombre de valeurs et de concepts, déterminants une vision de la société, qui fondent les liens d'une appartenance commune.
Historiquement, en politique, dans l'inconscient collectif, cela se traduit par être soit de Droite, soit de Gauche. Cela fut vrai dès 1789, et a toujours cours aujourd'hui encore. La conception d'une voie intermédiaire semble pour beaucoup relever d'une illusion, bien que très séduisante. Le rationalisme lui a préféré le clivage, qui a l'époque mettait face à face, dans un monde qui n'était pas guidé ni par la mondialisation, ni par le capitalisme économique, deux visions différentes de la société ; en l'occurrence, la notre n'avait connu que l'absolutisme.
Il était logique que s'opposent un camp dit conservateur (Droite), et un autre dit progressiste, au sens de transformer et changer la société (Gauche).
Au fil du temps cette opposition conceptuelle s'est exacerbée et déclinée autour de notions comme le travail, l'autorité, le respect de l'ordre et de la tradition pour les uns, l'insoumission, l'égalité, la solidarité pour les autres. Une déclinaison affirmée par de réels antagonismes sur le plan économique : libéralisme pour les uns, interventionisme pour les autres.
Tout cela était vrai avant. Mais aujourd'hui, à l'heure des évolutions sociétales que nous avons traversées, est-ce que les oppositions conceptuelles décrites sont toujours autant de mise ?
Elles le sont toujours mais de façon moins marquée ; la Gauche, qui a épousé l'économie de marché qui s'est imposée partout dans le monde, fait preuve de davantage de pragmatisme sur le plan économique ; la Droite tâche de lutter contre les inégalités sociales.
C'est dire dès lors que fondamentalement, en rapport avec les différences originelles, Droite et Gauche se sont rapprochées, en "recentrant" leurs positions sur bien des sujets.
Les vrais différences sont marquées par la capacité de ces blocs à séduire et capter leurs extrêmes en flattant leur orgueil idéologique pour emporter la bataille électorale. Ce que l'on appellera volontiers la démagogie.
A ce titre, la dernière campagne pour les présidentielles a marqué un sursaut de ce clivage Droite/Gauche avec des extrêmes très fortes, où l'on s'est disputé la bataille des valeurs... originelles.
Car en réalité, chacun souhaite l'équilibre sociétal, la justice sociale, l'efficacité économique, l'égalité pour tous, la sécurité sur l'ensemble du territoire. Seule la méthode diffère.
Ce sont des désirs qui ne sont plus, ni l'apanage de la Droite, ni celui de la Gauche ; ce sont des désirs universels qui doivent rapprocher et non diviser, pourvu que l'on ne s'accroche pas au dogmatisme idéologique qui prévaut de façon sectaire dans les appareils politiques.  

"Un clivage institutionnalisé".

La bipolarisation de la vie politique qui scinde le pays en deux blocs qui s'opposent et s'affrontent de façon souvent stérile relève de ce que je décris comme la faute originelle de la cinquième république qui au travers de la mise en place du scrutin majoritaire uninominal à deux tours institutionnalise la confrontation bipolaire. Le débat se réduit ainsi au second tour à une finale entre deux courants majoritaires, qui aimantent les vaincus du premier tour, dits courants minoritaires, qui pour tâcher d'exister vont se satelliser soit par le consensus, soit par la compromission, à l'un des deux blocs, faisant dès lors le jeu de la bipolarisation politique.
C'est dire que dans un tel système, marqué par le temps et les usages, il est difficile pour une troisième voix, non seulement d'émerger, mais encore de devenir majoritaire. Difficile aussi pour un mouvement minoritaire de tenir une ligne d'indépendance à l'égard des courants majoritaires. Il suffit de voir la représentation du Front National qui pèse deux députés, pour un volume électoral se situant autour de 20 %...
Ainsi, si ce mode de scrutin a le mérite de dégager une majorité claire et nette, rompant avec l'instabilité chronique de la IVème République, elle institue cependant une toujours aussi réelle injustice démocratique, puisque la représentation parlementaire ne correspond pas à la réalité du paysage politique national. C'est donc une escroquerie qui trompe le peuple sur la réelle nature politique de notre pays, en empêchant la traduction politique des évolutions sociales et sociétales que nous traversons quotidiennement. 
En outre, ce système marginalise de facto, mais faussement, les extrêmes qui peuvent continuer à progresser souterrainement parce que sous-représentée officiellement. C'est oublier que c'est à la Tribune que les extrêmes se combattent.
Enfin, les courants minoritaires, démocratiques, se trouvent étouffés par le jeu de la satellisation à l'un ou l'autre des deux blocs.

"Et le Centre dans tout ça ?" 

Le courant centriste a toujours existé depuis la révolution. Il est une constante de la vie politique française et a traversé les âges en restant fidèle à la notion d'équilibre. Il n'est ni une hérésie, ni un fantasme, ni une vue de l'esprit ; il est une réalité.
De grands noms sont associés à cette doctrine : Mirabeau, plus récemment, Raymond Barre, Valéry Giscard d'Estaing, Jean Lecanuet, Jacques Delors, François Léotard, François Bayrou et tant d'autres.
L'UDF fut un pilier de la mouvance centriste, rassemblant sous sa bannière toutes les composantes du Centre, en faisant de ce parti, le premier parti d'élus de France. L'UDF, contrairement à la vision que certains en ont, ne fut pas toujours un supplétif de droite du RPR. C'était un laboratoire d'idées d'où émergèrent toute une génération de politiques réformateurs.
Las ! Le Centre est hétéroclite, pris dans une distorsion idéologique délicate à appréhender, entre les tenants d'une ligne de centre-droit, les tenants d'un centre-gauche, et les tenants d'une ligne originale d'un centre indépendant, dit, ni de droite, ni de gauche. Une quadrature difficile à maîtriser, car si chacun peut se retrouver dans le Centre, le Centre ne saurait pouvoir se retrouver partout...
Le Centrisme est une force d'équilibre obéissant à des valeurs de rassemblement : humanisme, libéralisme social, pragmatisme, réformisme, liberté, solidarité, tolérance, respect, vérité.
Une vision avant-gardiste, moderne et apaisée de la pratique politique qui vise à rassembler le plus grand nombre autour d'un projet réaliste et maîtrisé.
Evidemment pas très sexy pour l'électeur qui fait face à la démagogie. Difficile pour un courant tiraillé dans tous les sens, et divisé en plusieurs partis, de faire entendre une voix unie, d'exister et de peser tant dans le débat qu'électoralement, qui plus est dans un contexte et dans une culture, qui empêchent l'émergence d'une troisième voie.
François Bayrou faillit y parvenir en 2007, lorsqu'il échoua aux portes du second tour de l'élection présidentielle, recueillant près de 19 % des suffrages.
Aujourd'hui échoué à 9 %, celui que les français considèrent toujours comme le leader du Centre, n'a pas réussi à fédérer au sein du Mouvement Démocrate, le grand rassemblement que celui-ci objectivait initialement. La faute à la conjonction de plusieurs phénomènes : la fuite de cadres vers l'UMP, qui visait à aspirer sous sa bannière le Centre, à des fins électoralistes, un discours inaudible dans un contexte électoral bipolaire insupportable, le départ de nombreux militants, l'usure du temps...

"Et maintenant..."

En 2012, les choses sont différentes : l'UMP est prise dans une crise idéologique profonde, entre les partisans d'une "Droite dure", prête à aller vers son extrême, et une Droite modérée qui refuse l'extrêmisme.
Dans ce contexte, face à un Parti Socialiste hégémonique, Jean-Louis Borloo est parvenu à constituer un groupe parlementaire centriste, indépendant, pierre angulaire à la construction de son parti (UDI) qui vise à faire renaître un Mouvement qui rassemblerait tous les centristes.
Ce rassemblement, je l'affirme, est une nécessité. Mais cette idée fait renaître les vieilles guéguerres de personnes, entre ceux qui se réclament d'un Centre authentique, et ceux qui sont vus comme les tenants d'un Centre opportuniste... Cessons là, ce qui relève de l'enfantillage de cours de récréation, et comportons-nous en personnes raisonnables !

Dans ce débat, qui de prime abord apparaît inextricable, il y a deux idées majeures et essentielles qui reviennent : l'indépendance et la ligne.
François Bayrou a raison : le Centre se doit d'être libre et indépendant ! Mais l'indépendance n'est garantie que par l'autonomie. Le parti radical de Borloo, rattaché financièrement à l'UMP, le nouveau Centre de Morin qui n'existait que par la volonté du suzerain UMPiste, n'étaient pas indépendants. Et on pourra facilement reprocher aux deux ex-UDF d'avoir participé au quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ce reproche je l'ai fait moi-même en des termes souvent très durs. Comme il faut reconnaître la fibre centriste d'un Jean-Louis Borloo appelant à un virage social du Gouvernement Fillon... Après tout, que ceux qui n'ont jamais pêché leur jettent la première pierre. Nul n'est modèle de vertu.

Etre indépendant, c'est être autonome et libre de ses choix, c'est ne pas dépendre du bon vouloir d'une autorité vis à vis de laquelle, on serait en situation de redevabilité ; c'est choisir sans être assujetti ou contraint.

Sur la question sacro-sainte de la ligne ; il convient de comprendre que les qualificatifs de Droite ou de Gauche ne sont que des termes génériques qui appartiennent à l'Histoire et qui servent à donner des repères au grand public, tant les différences entre ces concepts sont de plus en plus abstraites. Quelle différence entre une Sociale Démocratie et une Droite sociale. Blanc bonnet et bonnet blanc... La question est ouverte.

Difficile toutefois d'être partenaire d'un PS qui a menti aux Français, ou d'une Droite qui se corromprait avec son extrême. En cela la question interne à l'UMP est d'une importance capitale.
Car dans un contexte bipolaire, l'existence passe par des partenariats clairement et concrètement établis, sur la base d'un projet politique obéissant à des valeurs  ; l'isolement confine à la marginalisation.

La mise en place d'un scrutin proportionnel garantirait l'émergence d'une force d'équilibre et de rassemblement que propose le Centre.

Il serait peut-être utile, une fois pour toutes, de briser les barrières dogmatiques entretenues par les partis politiques pour libérer les esprits. Nous ne devons pas voter pour quelqu'un parce qu'il est de Droite ou de Gauche, mais nous devons voter pour une méthode de travail, pour une vision. Sanctionnons le sectarisme. Cela tendrait à faire grandir la teneur du débat public et nous propulserait dans la perception politique de demain.

Ne donnons pas de leçon de centrisme à tout venant ; ne manquons pas d'humilité. Le Centre est une grande famille éclatée qui n'attend que d'être recomposée.
François Bayrou a voté François Hollande ; je ne l'ai pas fait, je ne m'en estime pas moins centriste que lui.
Le Centre a vocation a être représenté à la Présidentielle de 2017, nulle raison de se soustraire à l'épreuve de primaires.
De même que le MoDem, s'il devient composante de l'UDI, ne doit pas craindre de voir ce qu'il peut peser dans cet ensemble, il ne doit pas craindre de voir si oui ou non, sa vision du Centre est majoritaire.

Je dis Oui à la double appartenance, car elle permet l'existence de courants au sein d'un ensemble confédéral, garantissant la diversité de postures que la Démocratie interne sanctionnera le moment voulu. Elle permet de ne pas être absorbé comme d'autres mouvances ont pu l'être en leur temps par l'UMP. Car comme l'a si bien dit un jour François Bayrou : "Penser tous la même chose, c'est ne plus penser !"

Le Centrisme, dans ce qu'il a de plus noble et rassembleur est le modèle politique de demain. Celui qui, obtus, resterait campé sur ses positions, assurément, n'est ni centriste, ni rassembleur.
L'UDI et le MoDem peuvent travailler ensemble ; pourvu que les bonnes volontés s'en donnent réellement la peine, se substituant aux égos et vieilles rancoeurs. De la hauteur, de la vision, de l'avenir pour cette recomposition du Centre. Qu'y-a-t-il à perdre ?

N'oublions pas, chacun, que c'est le coeur et non le corps qui rend l'union inaltérable.

1 commentaire:

  1. Mathieu,
    Pour moi,comme je l'explique dans mon livre "Aubusson et la Creuse à la Croisée des Millénaires" (page 47),la différence entre la droite et la gauche n'est plus actuellement essentiellement d'ordre économique mais est relative à des problèmes de société
    En tant que radical de gauche j'asume parfaitement le fait d'être de gauche et social libéral.
    D'autre part j'etime comme vous que le systéme constitutionnel bi-polaire ne permet pas le plein exercice de la démocratie.

    RépondreSupprimer