Le politique réclame cohérence et courage, mais les faits révèlent souvent une hypocrisie de forme. Ce post vient en écho au précédent qui utilisait un exemple précis fondé sur l'actualité, pour montrer à quel point notre courage politique est limité par nos intérêts diplomatiques. Il s'agit avant tout de ménager et de ne pas froisser ceux avec qui nous entretenons des relations privilégiées et convenues. Nous devons souvent nous asseoir sur nos grands principes, ceux que nous déclinons souvent à certains, mais pas à tous, avec une virulence hautaine. Le silence est le prix à payer pour l'apaisement des relations internationales. Ravalons notre fierté, souvent déplacée, et, honorablement, faisons preuve d'une nécessaire et élémentaire humilité au lieu de tenter désespérément de maintenir l'illusion d'une quelconque influence internationale fondée sur la vertu.
Il s'agit de démontrer ici qu'en France nous sommes de vrais spécialistes en
matière de morale, et que souvent nous portons des jugements qui peuvent
tenir lieu d'ingérence dans le fonctionnement de pays étrangers.
Nous sommes là sur une pente glissante, avec des attitudes souvent contradictoires.
Il
est facile de dénoncer comme nous le faisons, souvent avec
grandiloquence, des pratiques qui ne sont pas les nôtres, qui
n'appartiennent pas à notre culture à notre tradition, à notre mode de
fonctionnement, à notre codification. Des pratiques que nous réprouvons parce qu'elles ne respectent pas l'ordre établi en matière de droits et de libertés fondamentales ; souvent nous dénonçons au titre de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Cela nous honore pourvu que nous nous appliquions à tenir cette attitude en toutes circonstances.
Mais le quotidien,
l'actualité, montrent aussi que notre vaillance ou notre courage
politique a des limites certaines, fixées par nos intérêts
diplomatiques. Facile de juger de ce qui se passe en RDC. Bien plus
délicat de s'exprimer publiquement sur la problématique de
l'homosexualité au Maroc, un pays qui est un partenaire privilégié de la
France. Facile de faire la guerre au Djihadistes du Mali, bien moins de s'en prendre au Qatar et à ses investissements massifs en France, pourtant décrit par certains, comme une des plaques tournantes du terrorisme international. L'art diplomatique tient en celui du double discours, ce que nous condamnons là-bas, nous l'acceptons ailleurs... Nos ministres refusent de débattre avec Tariq Ramadan, mais notre pays ne renonce pas à ses accords commerciaux avec l'Arabie Saoudite...
Imaginez un seul instant l'incident diplomatique si une ministre
française, tenant des racines au Maroc, s'élevait publiquement contre la
législation d'un Etat souverain ? De quel droit irions-nous nous immiscer dans les affaires internes d'un pays étranger, d'autant plus si ce pays n'est pas l'objet de la méfiance des occidentaux ? C'est un risque que personne ne
prendra officiellement.
J'imagine parfaitement Najat
Vallaud-Belkacem avoir une opinion sur la question, à fortiori après la
condamnation effective des deux jeunes hommes à 6 mois d'emprisonnement.
J'imagine raisonnablement que cette dernière ait une cohérence de
conscience. Mais nous savons qu'elle ne dira rien du fait de cette
pression diplomatique. Et cela se comprend, si nous avons le droit
d'avoir une opinion, il ne nous appartient pas de juger, et nous devons
avoir l'humilité nécessaire pour respecter la souveraineté d'un Etat. La
France n'a pas vocation à avoir une mission civilisatrice ou
interventionniste à l'étranger.
Pourtant, si celui que l'on
décrit comme un homophobe en France est perçu comme un fasciste, il en
est de même pour l'homophobe étranger ? Y-aurait-il deux poids de
mesures en fonctions de nos intérêts diplomatiques, commerciaux et économiques ?
Nous
avons érigé en modèle les exemples de pays décrits comme progressistes
parce qu'ayant légiféré depuis longtemps sur le mariage pour tous,
fustigeant l'attitude rétrograde des opposants. Est-ce alors à dire que
les pays qui n'ont pas légiféré sur la question sont obscurantistes ?
Reconnaître
une souveraineté, c'est accepter que d'autres puissent penser autrement
et différemment même si cela nous choque. Avoir le courage de ses
convictions, c'est tenir un même discours en toute circonstance, sans
dénigrer que d'autres puissent voir autrement ; c'est cela l'ouverture
d'esprit, le respect des opinions.
Il est dès lors facile de prendre des positions
polémiques en sachant avoir le soutien d'une opinion publique et surtout
ne pas perdre le moindre intérêt. Or, en France, reconnaissons que nous
avons la morale bien sélective, et un orgueil démesuré qui trahit assez
bien l'absence de courage politique en bien des circonstances. A moins que ce ne soit plutôt du pragmatisme...
Le courage peut se payer amèrement, Rama Yade, peut en témoigner, convoquée, sermonnée et mise au placard, après s'être élevée en déclarant à propos de Mouamar Khadafi, en visite en France : "Il doit comprendre que notre pays n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort."
Il est ainsi regrettable, tout autant que navrant de constater qu'en politique, les convictions ne sont pas si vertueuses que l'on voudrait le croire, que l'on pratique tout autant, sur un même sujet, la faconde que l'hypocrisie, que les relations internationales sont perverties par des relations d'intérêts où s'entremêlent secret et hypocrisie.
La bonne mesure voudrait que l'on soit bien plus humble envers l'étranger, et que nous ne nous croyions pas investis d'une mission qui nous autoriserait l'ingérence. Bien des peuples dans le monde ont payé l'ingérence intéressée, alors que nous avons le devoir de reconnaître et respecter les droits et libertés d'autrui, fixées par la Loi. (art 29 DUDH) De grâce, terminons-en avec l'hypocrisie qui gouverne à notre fonctionnement, consistant pour les puissants à faire et défaire en fonction de ce qu'il y a à gagner, au mépris du devenir des peuples, sous couvert d'humanisme. Comment voir autrement le maintien d'une guerre confessionnelle en Irak, et la main mise américaine sur le pétrole local, source de richesses dont l'essentiel de ce pays est spolié ?
La vérité tient en une phrase prononcée avec beaucoup de justesse par
Tariq Ramadan concernant notre attitude envers l'étranger : "Il est des
pays qui ont les moyens de vous faire taire". Et Mme Vallaud-Belkacem,
sauf à me faire mentir, se taira... En bonne politique, pour qui les postures officielles ont un prix...
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