mardi 24 mars 2015

La douce et généreuse imposture...

Il s'agit d'une des mesures fortes avancée par le Gouvernement et portée avec obstination par la ministre de la santé, Marisol Touraine : la généralisation du tiers payant, qui n'en finit pas de défrayer la chronique et de créer la polémique, notamment chez les médecins généralistes.
Ce sujet déchaîne les passions et soulève un certain nombre d'interrogations de part et d'autre.
Doit-elle être considérée comme une avancée sociale qui concrétise le principe d'égalité pour tous devant la santé ? Cette mesure ne va-t-elle pas bouleverser notre rapport à la question santé et au lien entretenu avec le médecin ? Avance-t-on de plus en plus vers l'avènement d'une médecine étatisée ? Cette mesure n'est-elle pas fondamentalement de nature à remettre en question le pacte social français ? Petit tour d'horizon...
L'idée a en effet de quoi séduire que de généraliser la pratique du tiers payant ; elle induit de faciliter l'accès aux soins pour tous, sans avoir à effectuer d'avance de frais. Elle entend ainsi instaurer une équité sociale, consacrant le principe que chacun peut se faire soigner indépendamment de ses moyens financiers.
De prime abord, tout cela est parfait, relevant par essence d'un vrai souci de justice. A fortiori, ce concept est déjà appliqué, notamment par les pharmacies, et certains spécialistes.
Bien sûr, cette mesure a été favorablement accueillie par la majorité de la population, tant elle est empreinte de générosité : elle confère un nouvel avantage aux assurés sociaux.

Toutefois, cette généralisation du tiers payant soulève un certain nombre d'interrogations, mais suscite également la réprobation d'un très grand nombre de médecins qui voient là, arriver, un supplément de paperasserie supplémentaire... Mais ce n'est pas là le seul argument qui étaye leur opinion.

Un rapport mercantile inadapté : le consumérisme.

Nombre d'observateurs constatent que la généralisation du tiers payant ne posera aucun problème s'appuyant en cela sur le fait que les pharmacies, notamment, le pratiquent depuis longtemps sans que cela ne semble gêner l'activité des officines.... Sauf que cela n'est pas aussi idyllique que l'on voudrait bien le laisser penser.
D'une part, parce qu'il est difficile de comparer un médecin qui, a fortiori en milieu rural, travaille seul, et à la gestion de ses patients et à la gestion de son activité, et une pharmacie qui demeure une entreprise commerciale dans laquelle le pharmacien ne travaille pas seul.
En outre, la pratique du tiers-payant ne se limite pas à la vision simple d'un acte de télétransmission qui prendrait deux à trois minutes (à condition d'avoir le haut débit...). Combien de dossiers rejetés qui induisent des défauts de paiement, et une charge de travail supplémentaire ? A priori, plus de 20 % des dossiers concernés qui génèrent des difficultés telles que souvent, les pharmaciens sont contraints de faire appel aux services payants de sociétés spécialisées. La seule existence de ces sociétés traduit à elle seule, ces difficultés rencontrées... Près de la moitié des pharmaciens s'expriment défavorables à la généralisation du tiers payant chez les médecins.
Il devient dès lors facile de concevoir les conséquences administratives, mais pas que, de ce procédé chez des médecins déjà débordés par leur travail auprès de leur patient : le temps passé sur de l'administratif sera autant de temps perdu qui ne sera pas consacré aux malades.

En outre, les cabinets médicaux risquent de ne pas désemplir... Il convient à ce titre d'apprécier à sa juste valeur le rôle des caisses d'assurance maladie et des mutuelles complémentaires santé. Elles ne sont pas des organismes de crédit qui payent pour nous parce que nous cotisons ou souscrivons à des offres. Elles sont des organismes de prise en charge des actes.
Cotiser ou souscrire ne rend pas l'acte gratuit, il lui permet d'être pris en charge, ce qui est tout à fait différent. D'où une certaine confusion entretenue dans l'esprit des gens qui croient que le soin est quelque chose de gratuit.
Et c'est cette "pseudo-gratuité" qui peut générer des abus, et entraîner une surconsommation d'actes médicaux (puisqu'ils ne coûtent rien...). Les rapports et à la question santé, et au lien entretenu avec le médecin s'en trouverait dès lors bouleversés, les patients rentrant dans une logique consumériste dans laquelle, le médecin libéral, devenu malgré lui, un "salarié" dépendant des caisses d'assurance maladie et des complémentaires santé, ne pourra faire face à l'importante afflux de patients, qui pour tout et n'importe quoi viendront chercher ce service offert... Cela conduira, au delà de la saturation des cabinets de ville, à une saturation des services d'urgence, qui de plus en plus, feront office de dispensaire. Ce phénomène existe déjà, et ne pourra que s'amplifier. Nous avançons donc vers une dénaturation de l'exercice libéral, et une accentuation de la demande en dépit d'une offre qui va diminuant...

La surconsommation d'actes, de son côté, entraînera une hausse mécanique des dépenses de santé, qui pour être prises en charge, conduiront, soit au déremboursement de certains d'entre eux (n'est-ce pas déjà le cas pour certains médicaments, ou actes d'imagerie...), soit à la hausse des cotisations ou tarifs des complémentaires santé, créant dès lors de nouvelles inégalités...

Un tiers payant pour tous... Conditionné...

Autre point sujet à forte polémique, même s'il est plus ou moins passé inaperçu au sein de l'opinion publique, c'est le conditionnement du tiers payant à la signature par l'assuré d'une autorisation de prélèvement bancaire, notamment pour ce qui concerne le prélèvement des franchises médicales ( 1,5 milliards de recettes attendues). Une condition sine qua non qui sonne un peu comme une forme de chantage à l'acceptation de prélèvements aléatoires.

En effet, aujourd'hui, de nombreux patients, en situation précaire, bénéficiant du tiers-payant social, ne disposent pas des moyens leur permettant de faire face à un prélèvement bancaire non provisionné. Dès lors, les patients dans cette situation, bien souvent des travailleurs précaires, ne pourront signer cette autorisation, et ne seront donc pas éligibles au tiers payant et devront faire l'avance de leurs frais médicaux.... Sauf à ce que le médecin fasse crédit de la consultation.

Concrètement, un patiente jouissant du tiers payant social, disposant d'une prise en charge à 100 % par la caisse dans le cadre d'une ALD devra faire l'avance de ses frais médicaux si elle ne souscrit pas à cette autorisation de prélèvement, elle-même susceptible de la mettre en difficulté sur le plan financier (agios...). Autrement dit, le chien qui se mord la queue... Conduisant vraisemblablement à l'exclusion des plus faibles d'une mesure qui originellement leur était destinée.

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